Carnet de route

Pêche à l'Ichtyosaure dans les Basses Alpes
Le 27/10/2022 par Laurent TROTIGNON
De Venelles aux Mées, l’autoroute ramène au rang de simple trajet ce qui autrefois devait être un parcours long, parfois périlleux. Au-delà de Digne, alors que le jour commence à poindre, nous retrouvons enfin l’impression d’être partis en voyage. Ce n’est pas seulement la sensation d’automne, imperceptible à Aix mais bien visible sur les rives de la Bléone, qui nous frappe. Certains kilomètres parcourus ici valent des siècles, les fuseaux horaires pour atteindre ces contrées se mesurent en millions d’années. Il ne s’agit pas d’une exoplanète, mais d’une pâte brisée, feuilletée, de terres noires et de plissements calcaires, le fond d’un océan perdu. De ce grimoire étonnant, palimpseste chiffonné par l’orogenèse, j’ai proposé à mes compagnons de randonnée de lire quelques lignes.
Une première station est faite à La Javie où nous sentons le besoin de nous dégourdir un peu les jambes alors que la torpeur commence à nous gagner. A proximité, la boulangerie est ouverte et nous attire. En ce 23 octobre, la poire Sarteau (https://poiresarteau.fr/histoire/) est fêtée dans le canton. Chaussons et brioches aux poires sont découverts et dégustés avec grand plaisir. Le voyage se poursuit et nous arrivons enfin à Verdaches, petit village situé sous le sommet du Blayeul, au confluent du Bès et du Mardaric.
Nous remontons tout d’abord la piste qui longe le torrent jusqu’au carrefour avec le ravin de Burin où nous empruntons un sentier qui grimpe hardiment dans la forêt. Cette dernière, mélange de hêtres, érables, conifères offre un éventail de couleurs incroyable. Combinée à la chaleur étonnante de cette fin octobre, la montée en gamme du chemin franchissant les barres de schistes, nous oblige à éplucher jusqu’au T-shirt nos vêtements. Arrivés à une grande clairière, nous découvrons grâce à Claudette, au-delà de la nécessité de boire et manger, la justification d’une seconde station : la présence d’une colonie de jeunes lactaires délicieux. Marie-Claude en profite pour nous faire goûter quelques pâtes de coing dont nous la délestons volontiers.
La piste que nous suivons maintenant descend en pente douce vers le col de Chalose. Nous croisons une famille aux paniers remplis de girolles, prêtes à sécher ou être congelées en prévision de futurs festins. Nous remontons alors vers le sommet boisé de Serre Bérard (1634 m), point culminant et troisième station de notre sortie. Face aux sommets de la Blanche et de l’Estrop, dominant le hameau de Couloubroux et le col de Maure, réchauffés par un rayon de soleil, nous cassons la croûte et consultons gourdes et thermos. Point de sieste dans ces herbes infestées de tiques, nous repartons maintenant dans la forêt de Petite Rousse puis bifurquons sur un sentier vers la cabane des Boeufs où se rejoignent le Mardaric et le torrent de Pra Garnier. La piste qui serpente de gué en gué le long du Mardaric est bien boueuse et colle telle un mastic à nos semelles. Heureusement le dernier kilomètre du parcours, plus sec, aide à réparer ces outrages.
Repartis en voiture via les Clues de Verdaches, nous effectuons une quatrième station juste avant les Clues de Barles que nous partons visiter à pied, le long de la route creusée dans la falaise. Strates verticales sciées par le Bès, eau qui tourbillonne dans les marmites de géant, rayons de lumière rasant les parois peuplées de fougères naines et de bonzaïs tordus et, au bout du défilé, l’oeuf de pierre d’Andy Goldsworthy qui nous attend. Rien ne permet de capter tant l’ambiance de ce défilé que cet aller-retour de marcheurs dépouillés de leurs véhicules et sacs à dos.
En route le long du Bès, nous franchissons ensuite une troisième porte, la Clue du Pérouré, passons Esclangon et arrivons à l’entrée du vallon de Saint Vincent. Au fond de ce vallon, au pied des robines du Serre de Clastre, se trouve un mausolée construit autour des restes fossilisés, vieux de 190 millions d’années, d’un ichtyosaure. Il est un peu rude pour tous de remettre en marche les muscles qui refroidissent déjà, mais quarante minutes plus tard, nous sommes devant la capsule temporelle, séparés de notre ancêtre par une vitre où se mélangent nos reflets et sa silhouette pétrifiée. Des panneaux explicatifs narrent l’odyssée géologique de ce reptile, lui-même descendant d’un aïeul terrestre retourné à l’océan, comme nos cousins dauphins et baleines. Une pensée pour Mary Anning, paléontologue britannique du XIXème siècle, dont la vocation a pour origine la découverte à l’âge de 12 ans d’un squelette complet d’ichtyosaure. C’est ici notre dernière station, nous redescendons le vallon sauvage puis le Bès indompté et revenons vers l’anthropocène, ère caniculaire des temps qui viennent. Une bonne raison pour faire une pause rafraîchissante au Grand Café de Digne.
Merci à tous, Céline, Madeleine, Nathalie, Marie-Claude, Daniel, Claudette, Christine et Isabelle pour ce voyage automnal en leur sympathique et conviviale compagnie !
Serre Bérard au départ de Verdaches : ~560 m de D+, 16 km en boucle, compter environ 5h pauses comprises.
Site de l’Ichtyosaure de la robine : ~200 m de D+, 4 km (aller-retour de 1h30 environ)