Carnet de route

Le Cousson Face Sud
Le 25/11/2023 par Laurent TROTIGNON
Que sont les montagnes ? Les sommets bas-alpins qui nous entourent, synclinaux ou anticlinaux, imitent, de Lure au Chiran, de Bure au Cheval Blanc, la houle bien formée de la haute mer, eaux couleur forêt, écume de calcaire déferlant sur les crêtes. Nous marchons sur le fond d’océans disparus, dont le souvenir reste inscrit dans ces débris, galets, avalanches sous-marines de fientes et de squelettes, compactés, séchés, soudés, recyclés et transmutés. Au sommet de la muraille, la Chapelle Saint Michel de Cousson veille sur Châteauredon. Le cimetière marin, fécondé par la lumière, le vent, la pluie, est devenu cathédrale céleste.
Du petit village assoupi près de l’Asse, notre groupe se prépare à partir sous le regard intrigué d’une colonie de chats. Le feuillage d’automne est enfin hissé aux arbres, il nous réchauffe le cœur et nous rassure sur le déroulement habituel des saisons. Du village nous traçons Nord-Est, contournons Château Vieux puis remontons une piste en direction des Suyès. De loin en loin, nous apercevons la casaque orangée d’un chasseur mais heureusement la battue semble terminée, nous arborons également des couleurs fluo et parlons de vive voix. L’exposition du versant aux rayons du soleil, la marche, la pente qui se redresse et la conversation nous réchauffent et nous devons plusieurs fois revoir notre habillement. Nous attaquons maintenant le plat de résistance, 300 m de dénivelé à plus de 30 degrés de pente, heureusement sur un sentier bien tracé, avant d’atteindre le col donnant accès à l’arête Est de la montagne.
Au col, allongées sous les cynorrhodons, des vaches nous accueillent et regardent placidement comment nous gaufrons les bouses de nos semelles. Nous montons maintenant vers le sanctuaire, où au bord du vide est posée la Chapelle. Venir ici, est-ce une arrivée ou un départ ? Il n’est pas possible d’aller plus loin sans emprunter la voie des airs, celle des anges ou des vautours qui planent dans les thermiques. Nous sommes tous émus et impressionnés par ce lieu dépouillé, minuscule chapelle, autel discret orné d’ex-voto, dédiée au plus puissant des archanges, juge des âmes à la fin des temps.
Nous suivons maintenant l’arête herbeuse vers l’Ouest et arrivons au sommet de la pyramide du Cousson. Tressées de rubans humides et lumineux, les vallées de l’Asse et de la Bléone attirent nos regards vers Lure et Sainte Victoire. Les Ecrins sont couverts de neige de pied en cap, en revanche l’Estrop n’a que quelques balafres blanches, Blayeul et Montagne de Boules sont secs et pelés. Les sacs posés à terre, assis dans les genêts du versant Sud, nous nous accordons un temps calme et lumineux, une respiration. Forêts revêtues d’un dégradé aux couleurs de l’automne, arbres glissant chacun à son rythme vers un engourdissement bienvenu.
Le soleil rase les herbes jaunies du versant Nord où nous descendons prudemment. Au replat des Estourons, nous bifurquons à l’Ouest. Le chemin plonge dans l’abrupt, évite astucieusement les à-pics et s’enfonce dans la hêtraie. Filtrée par les feuilles jaunies ou ocres, la lumière crée un vitrail sur la voûte de la canopée. Bien tracé et balisé, le chemin nous mène au Puy de la Braïsse où nous bifurquons au Sud vers de grandes prairies-clairières. J’égare le groupe dans un ravin touffu mais nous réussissons à sortir de ce piège, suivons la piste puis un oued qui passe sous la N85, cheminons le long du ravin de Saint-Jean, passons près de la Chapelle éponyme et rejoignons les voitures. Tandis que Marie-Paule et Annie se dépêchent de rentrer sur Aix, le reste du groupe, Isabelle, Nadine, Delphine, Daniel, Solomane, Joséphine, Christine et votre serviteur s’attardent au Grand Café de Digne. La marée montante de la nuit engloutit maintenant les sommets, seuls émergent quelques îlots habités par les archanges et les ermites.
Photos: S. Nanakasse, D. Rayne, L. Trotignon
Informations pratiques:
Environ 15 km pour 950 m de D+.