Carnet de route

Ascension première
Sortie : FORMATION ALPINISME - Week-end "Neige et Glace" - Au choix avec le week-end précédent. du 18/06/2022
Le 19/06/2022 par Antoine Bentegeat
L'alpiniste est une personne pressée. Pressée d'arriver au sommet, pressée d'en redescendre. C'est une sorte de lapin blanc qui a les yeux plus souvent sur sa montre que sur les paysages merveilleux qui l'entourent. Tout est chronométré comme pour un braquage. Ce n'est pas par hasard qu'une balade en alpinisme on appelle ça une course. C'est le plus rapide qui gagne, c'est le plus rapide qui vit. Amis contemplatifs et autres amateurs de bien-être veuillez passer votre chemin.
Le séjour commence avec les exercices d'initiation de rigueur. Pour ça il nous faut de la neige. Hélas, avec ces chaleurs, la montagne a retiré son beau manteau blanc et laisse apparaître un bronzage agricole douteux... Nous devons monter pour atteindre les taches blanches qui s'agrippent encore aux pentes raides.
Là, on apprend à se servir d'un piolet, à se ramasser en cas de chute, à faire des corps mort et des relais sur piolet éjectable. A force de ventriglisses et d'acrobaties en tout genre le métier commence à rentrer, ce sera utile pour demain. Mais un gros nuage noir nous prends à revers et craque juste au-dessus de nos têtes.
Nous redescendons au refuge du glacier blanc dans le moins grand des calmes. Au-dessus il y a la pluie, en dessous la neige et entre les deux, mon caleçon imbibé fait obstacle au magnifique cycle de l'eau.
Demain le groupe sera partagé en deux : une équipe ira tâter du glacier et du rocher sur la PDB tandis que nous tenterons l'ascension des agneaux. Levé prévu à 3h pour les agneaux, pour les autres grasse mat jusqu'à 4h.
Partir à l'heure en alpinisme n'est pas chose aisée. Il y a pourtant une astuce très pratique pour ne pas louper le réveil : il suffit de se réveiller pile au moment où on s’endort.
Il est 3h50 et il fait déjà bien tiède lorsqu'on part du refuge (2542m). Les étoiles sont masquées, on risque d'avoir la tête dans les nuages. La veille, un record de température a été battu au sommet du Mont Blanc. Du coup la neige est molle et les crampons profiteront paisiblement de la balade au fond du sac.
On avance vite sur les premières pentes de neiges malgré les nombreuses moraines découvertes par les fontes précoces. 6h. On arrive en même temps que le soleil au col du Monêtier (3339m). Une trouée dans la brume nous dévoile notre premier paysage de haute montagne : une belle pièce montée de caillasses, de blancs en neige, de caillasses, de blancs, et puis en haut pour décorer encore un peu de caillasses. Bonne continuation.
Pour la suite on replonge dans le brouillard. L'ambiance est fantomatique dans le couloir du col Tuckett (3529m). On ne sait pas ce qu'on a au-dessus et surtout on ne sait pas ce qu'il y a en dessous !
Ce qui est sûr c'est qu'on va pouvoir enfin utiliser les cordes. On ne les aura pas baladés pour rien. La dernière partie du couloir n'est plus en neige, il faut se frayer un chemin dans une cheminée abominable où les cailloux s'effritent comme de la terre. Louis et Rémi, impatient d'attendre que mes genoux arrêtent de claquer, s'élancent sur la droite. Je retrouve Louis au relais, tout blanc. Le caillou n'était pas meilleur et le mur plus raide. Cette nouvelle variante bien que courageuse sera baptisée "l'Erreur".
9h. Les 3 cordées du CAF rejoignent le sommet ! L'agneau noir, 3664m (recôté AD-). La vue est incroyable, les sommets forment un archipel qui flotte sur la mer de nuages. Moment d'émotion, ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de se rapprocher du ciel.
Une longue descente nous attend pour revenir au pré de Madame Carle (1872m). On jette un dernier regard sur le glacier blanc. Son front plissé de crevasses, il semble réfléchir gravement à son avenir incertain tout comme à celui des fabricants de crampons... Il est possible que l'alpiniste tel qu'on le connaît aujourd'hui soit une espèce en voie de disparition.
Encore un grand merci à Jean-Paul, Bernard, Laurent et Gérard pour l'organisation, leurs enseignements, leur patience et leur bonne humeur légendaire.