Carnet de route
Le Trainon et sa forêt magique
Le 11/12/2023 par TROTIGNON LAURENT
Le tichodrome écarte ses ailes grises et dévoile les plumes carmin et les taches blanches de ses ailes. Il volette, court sur la muraille, à nouveau gris et presque invisible, sonde de son bec les anfractuosités. La pêche aux insectes se poursuit sous notre regard attentif. Partis depuis vingt minutes du village de Saint-Geniez, balayé par une bise glaciale, nous approchons du Pas de l’Echelle et profitons enfin du soleil. L’oiseau-papillon nous rappelle, par sa danse sur la falaise, la précarité et le caractère miraculeux de la vie. Ainsi accueillis et adoubés, nous pouvons avancer d’un pas serein sur l’épaule qui domine le village. Au Nord, Buech, Dévoluy, Champsaur, Ecrins se déploient, le soleil étire nos ombres sur l’herbe gelée.
Notre petit groupe, Sandra, Nadine, Monique, Delphine et votre serviteur, traverse un alpage où ont atterri deux baignoires remplies de glace, rejoint une piste puis un sentier qui monte en écharpe dans le versant Sud du Trainon. Sandra découvre aujourd’hui l’activité de randonnée avec un peu d’appréhension et une grande motivation. Le chemin en pente douce nous conduit sur l’arête Sud-Est de la montagne d’où se dévoile la conque givrée des Monges. Nous zigzaguons entre les genêts puis avançons le long de la crête herbeuse, ensoleillée. Les graminées jaunies courbent sous le poids d’un placage givré, collé par le vent, et forment une steppe scintillante. Monique, en tête, est rejointe au sommet par le reste du groupe.
Après une brève station permettant d’admirer le paysage et de grignoter quelques vivres de course, je conduis maintenant le groupe dans les pentes herbeuses au Nord de la montagne. Le val d’Aurillane qui s’ouvre devant nous, au pied de la montagne de Jouère, est désert : les parcs à moutons sont vides, les bergeries désertes, les fermes montrent portes et volets clos. Seule la lumière d’hiver semble animer ces lieux. Avant d’arriver au ruisseau, la pente s’accentue et Sandra découvre son premier « hors-piste » un peu technique, 50 m de talus à 30° suivi d’un gué pour franchir la rivière. En fond de vallon, les prairies sont bien humides et il faut aller chercher une aire dégagée vers l’Estelas pour effectuer un pique-nique confortable. Agrémenté de génépi et d’une tablette de chocolat au géranium ! Ce dernier provenant directement de l’île de la Réunion grâce à Monique.
Repartis sur la piste vers Gigouret, nous approchons maintenant de la forêt magique. L’Aurillane est gonflée par la fonte de la neige et je crains que le gué sous Gigouret soit délicat à franchir. Le sentier qui y mène, peu fréquenté et mal balisé m’égare. Le gué est finalement bien négocié mais, descendus trop bas, nous devons remonter environ 80m de dénivelé dans un alpage raide et densément planté d’épineux. Sandra ne s’y sent pas très à l’aise, elle est un peu fatiguée ; encouragée par Delphine et Nadine, elle montre de la patience et de la détermination. Rejoignant un sentier plus confortable, nous entrons enfin dans la hêtraie. La voie est barrée : le hêtre gigantesque qui marque l’entrée de la forêt s’est brisé, nous devons faire un détour pour entrer dans le domaine. La lumière rasante du soleil se glisse sous la futaie, nous observons un phénomène étrange : des racines des arbres et des failles entaillant le rocher s’élèvent des vapeurs dessinant à contre-jour des arabesques blanchâtres. Nous approchons et regardons comment des naseaux moussus de la montagne s’exhalent ces génies, porteurs d’oracles indéchiffrables. Nous approchons maintenant du grand hêtre chamane de cette forêt. Nous l’étreignons, touchons ses blessures, nous inquiétons pour sa santé.
Le soleil clignote à travers les branches, il ne faut pas traîner : un bois de mélèzes, puis des pins et enfin la piste qui nous conduit vers le village, atteint au moment où il faudrait allumer les frontales. Hiver et automne nous ont aujourd’hui invités à un bien beau voyage entre adret et ubac, tichodrome et forêt magique.
Infos pratiques : environ 16 km, 950 m D+. Compter de 5 à 7h selon le rythme de marche.
