Carnet de route
Ubaye, neige et fleurs
Le 01/07/2022 par TROTIGNON Laurent
Dans le vallon du Laverq, à proximité de l’ancienne abbaye, s’est ouvert fin 2020 un gîte. D’où l’idée de venir y passer un week-end au moment où la neige laisse la place aux fleurs tandis que les cascades coulent à flots. En cette année 2022, après un hiver et un printemps secs (le lac de Serre-Ponçon déjauge fin juin de 7 m), il n’y a ici plus un brin de neige. Mais les fleurs, thème principal de cette sortie, sont bien présentes. La naturaliste qui devait nous accompagner est en convalescence, alors quelques guides botaniques lestent nos sacs en sus des deux ou trois litres d’eau requis par la chaleur.
L’objectif du samedi est de monter à Roche Bénite (2415 m), sommet cerné de falaises dominant le hameau au Nord-Est. Mené par Delphine, le groupe de 12 marcheurs fait d’abord une station à l’église Saint Antoine, ouverte et agréable de fraîcheur, harmonieuse, bien entretenue. Nous empruntons le GR6 qui heureusement serpente à l’ombre. Déjà, l’observation des plantes peut commencer: ortie, grande armoise, églantier, molène, sauge, laitue sauvage, vipérine, hellébore fétide et plantain se montrent sur les talus. Chemin faisant et altitude gagnant, nous croisons le lys de Saint Bruno, le trolle, la ciguë, les marguerites, œillets, campanules, trèfles, liserons, pets d’âne, épervières, renoncules, gentianes, centaurées, raiponces, anémones, arnica et doronics. Je ferme la marche et me laisse distancer à force de photographier. Nous croisons enfin deux orchis vanille avant d’atteindre le col de Séolane (2273 m), première bifurcation importante de notre randonnée.
Le terrain change et devient moins herbeux puis franchement caillouteux. Nous pénétrons alors dans un domaine mystérieux, chaos de rochers parsemé de rhododendrons en fleurs, cerné de falaises et dont l’entrée est marquée par un phallus de pierre que nous contournons prudemment. Telles des fourmis égarés dans un sucrier, nous progressons jusqu’à la jointure entre une falaise verticale et une raide pente caillouteuse qui sera notre ascenseur vers le sommet. A un court passage technique succède un agréable parcours sur l’arête rocheuse, où se nichent des clématites des Alpes, des saxifrages, linaires, joubarbes, globulaires et quelques edelweiss. Une fleur mystérieuse, photographiée par Delphine, est soumise à l’expertise de tous les cafistes et se révèle être, doctus cum libro, Primula marginata, de la famille des primevères. Le sommet de rochers brisés est atteint, la vue, bien qu’un peu brumeuse, enchante les participants et nous pique-niquons à proximité. Daniel qui perçoit l’arrivée possible d’un orage nous incite à ne pas traîner sur ce sommet exposé ni à risquer une bénédiction électrique. Une corde fixe est posée dans la partie raide de la descente, nous retraversons l’enclos zen mystérieux et rejoignons le col de Séolane.
A mes compagnons confiants, je propose une variante de descente, consistant à rejoindre vers 2000 m et par une sente à flanc, le plateau de l’Arra puis le rebord du ravin de Pierre Grosse avant de redescendre vers la Château, grosse maison dominant la piste de retour vers notre gîte. Le sentier de traverse, peu fréquenté, se perd bientôt dans les hautes herbes que nous traversons en file indienne, de bergerie en prairie. L’orage annoncé par Daniel se manifeste maintenant derrière la Grande Séolane : dans les limbes d’un ciel d’ardoise Thor joue de son marteau, musique à laquelle se joignent les premières gouttes de pluie. Le groupe trouve le détour un peu long, surtout la descente vers le Château, raide et malcommode dans des prés humidifiés, douloureuse aux genoux et aux pieds, mais vaille que vaille, nous y arrivons et la bonne humeur reprend le dessus. L’arrivée au gîte, aux douches spacieuses, confortable et fourni en bonne bière fraîche, finit de réconcilier mes compagnons avec le bon côté des choses. Le bilan botanique de la journée est discuté et quelques graminées, ray grass ou brome, viennent compléter notre tableau de chasse.
A 1600 m d’altitude, fenêtres ouvertes, bercés par les flots de la Blanche, loin de la canicule aixoise, nous passons une excellente nuit.
Les Eaux-Tortes, tourbière d’altitude (2250 m), sont notre objectif de dimanche. Jean-Marc, fatigué, reste au gîte pour se reposer. A l’ombre des Séolanes, nous suivons la piste vers la maison forestière de Plan Bas, croisons en chemin deux patous courtois et des chevaux en liberté. Eric, à la recherche de la pierre idéale, permettant de faire un dessous de plat ou un présentoir à fromages, furette le long du torrent et stocke ses trouvailles le long du chemin. La clairière abritant la maison forestière est couverte d’oseille sauvage et bordée de cytises (Laburnum alpinum) en fleurs. Remontant le ravin des Lausas, nous arrivons à proximité du cirque abritant les Eaux-Tortes. J’invite alors le groupe à me suivre et à remonter en adhérence les dalles de grès, strate après strate, jusqu’à nous retrouver environ 100 m au-dessus de la tourbière. Ce point de vue permet d’admirer les méandres, les îlots, les lagunes de cet écosystème alimenté en eau par la fusion du glacier (souterrain) de la Blanche et des derniers névés rescapés du printemps.
J’ai un peu oublié, mais je crois me souvenir, qu’après le pique-nique pris sur une dalle, la sieste fut bien agréable. Nous descendons ensuite vers les Eaux-Tortes, en effectuons le tour puis, filant sous la Tête de Chabrière, slalomons dans la futaie de mélèzes (Larix decidua). Peu avant la maison forestière, un pont tremblant franchit le torrent au-dessus d’une grande vasque d’eau claire. D’humeur épicurienne, nous posons les sacs, délaçons les chaussures, trempons les pieds, les mollets puis, pris d’une émulation collective, nous immergeons à tour de rôle complètement. Cette cryothérapie s’avère souveraine pour gommer toutes nos courbatures, régénérer nos vaisseaux sanguins et notre bonne humeur.
C’est ainsi baptisés, Eric portant ses menhirs de grès, que nous revenons vers l’abbaye et le gîte. Nous retrouvons Jean-Marc, et comme souvent en Gaule, tout se termine autour d’une cervoise bien fraîche accompagnée de tarte à la rhubarbe (Rheum rhaponticum).
Informations pratiques :
Gîte du Laverq (https://www.gite-du-laverq.fr), 33 couchages, demi-pension 43 €.





