Carnet de route

Ainac et Tanaron, Bès et Galabre

Le 22/02/2021 par TROTIGNON Laurent

Sortie du 21 février 2021

Durance, Bléone, Bès, Galabre. Nous remontons la généalogie des eaux de Provence et, au terme d’un transit de 10 km le long d’un intestin grêle appelé D103, nous venons buter contre la Grande Cloche de Barles, hameaux d’Ainac et Lambert. Dans les Basses-Alpes, riches en déserts et en écarts, ce bout du monde séduit d’emblée par son mélange de sauvagerie et d’habitats humains. Sur la trame géologique de 150 millions d’années, se lisent, comme sur un palimpseste, des histoires de conquêtes, de morts et de renaissances, depuis la Dalle aux Ammonites jusqu’aux bergeries bien vivantes du hameau de Lambert, depuis l’émouvant monument aux Morts de la Grande Guerre à Ainac jusqu’aux primevères qui commencent à fleurir à la Grange Vieille.

Nous garons les voitures aux Champons, vers 1100 m d’altitude, aire de stationnement « obligatoire » pour les randonneurs. Notre petit groupe, Catherine, Rémy, Simon, Bernard et votre serviteur s’équipe. Il fait -3°C, il est 8h15, le temps est magnifique. La douceur des dernières semaines fait que la neige est absente en versant Nord jusqu’à 1300 m, plus de 1600 m en versant Sud.

Franchissant le Galabre par la petite route encore goudronnée, nous arrivons à Lambert où nous sommes accueillis par les chiens du berger. Une chienne, qui semble légèrement excédée, ravitaille en vol neuf chiots. Ces derniers, presque sevrés, ne sont pas tous d’elle, nous comprenons sa lassitude.

La route goudronnée fait alors place à une piste de terre qui monte en pente douce entre forêt et pâtures entretenues ou à l’abandon. Notre chemin, balisé de la barrette PR jaune, se hisse jusqu’à environ 1240 m d’altitude (au dessus du Pas de Materonne) puis descend, en plein soleil, vers la Ferme du Coulet. Cette dernière, ruine majestueuse, évoque une grandeur passée, l’opulence mais aussi le travail impeccable et acharné de générations de terriens. Cette ferme est un fantôme mais il s’en dégage une force incroyable, sa place dans ce site est évidente. Elle réunit de façon harmonieuse la terre, l’eau, l’herbe, le silence et la lumière, quinte flush inestimable dans ce monde détraqué. Le chemin nous entraîne ensuite vers Pudoyer, autre ruine en attente d’une renaissance, franchit un ravin et nous conduit à flanc de montagne jusqu’au village de Tanaron.

Tanaron, notamment connu pour les observations astronomiques faites sur ce site par Gassendi au XVIIème siècle, a traversé depuis soixante ans plusieurs résurrections et rechutes. Une association a pris en main la restauration du village, des chantiers de jeunesse sont organisés tous les étés. Des éleveurs de moutons sont également implantés dans le vallon et nous rencontrons un aimable molosse, gardien de ces troupeaux.

Après cette pause culturelle, repartis plein Nord, nous filons vers le Ravin de l’Ubac des Gardes, terrains tertiaires relativement pourris, puis franchissons les Barres de l’Adret (fossiles de coquille Saint-Jacques) et arrivons enfin en vue de la Lame de Facibelle. L’absence de feuillage dans la hêtraie et l’éclairage rasant donnent à la feuille de grès, haute de plus de 60 m, l’aspect d’une lame d’or. Vue de près, elle montre en fait une carapace, des rides et des crevasses, des trous. Tel le dieu Janus, elle arbore une face lumineuse et une face ombragée, elle garde le passage vers l’Ermitage Saint Jean du Désert (1246 m) vers lequel nous montons maintenant, suant à grosses gouttes. Ce sentier, je l’ai déjà parcouru à la descente, est une merveille d’astuce et d’opportunisme : comme un escrimeur dont on n’arrive pas à saisir les bottes, il effectue un écart, un battement, il s’élance puis résiste, cède, s’efface et aboutit exactement sur la tranche du dernier gradin du Vélodrome. Là se trouve une petite chapelle orthodoxe, Saint Jean du Désert, lieu de prière et de méditation pour les passants et aussi pour deux ermites installés dans le voisinage.

La petite prairie jouxtant la chapelle réunit plusieurs groupes pour la pause méridienne. En fin de repas, Rémy extrait de son sac un flacon de « gnôle » dont il ne voudra pas révéler la composition exacte. Ce breuvage, aux vertus comparables à celle de la Grande Chartreuse, sera bien apprécié, avec du chocolat noir et avec modération bien entendu.

Pour arriver à l’Ermitage, nous avons marché 3h40. A la fin de la sieste, il est presque 13h00. J’ai prévu, pour le retour à Ainac, un périple hors sentiers , bref un pari, une aventure. Visiblement, mes compagnons me font confiance et de mon côté je fais confiance à Iphigénie, le génie enfermé dans la petite lampe à huile que je porte dans ma poche arrière. Quand je frotte la lampe, Iphigénie s’éclaire et me montre où je suis. De Saint-Jean, nous devons rejoindre au Nord-Ouest, à flanc, le ravin de l’Aran puis monter à travers bois et garrigue au Mourre du Barri (1557 m).

La recherche du départ du chemin se heurte tout de go à une difficulté imprévue : nous butons sur une clôture électrique de deux mètres de hauteur, bardée de barbelés, sur laquelle sont affichés des avis d’interdiction. A l’intérieur de l’enclos délimité par cette clôture se trouve une cabane. Quel genre d’ermite peut, misanthrope extrême, se réfugier au milieu des espaces libres de la nature et se cloîtrer ainsi dans un cocon métallique ? Peu soucieux de croiser cette triste chenille, nous contournons l’obstacle, descendons dans la futaie des mélèzes sous la barre rocheuse. Le GPS ne capte plus rien, Iphigénie est muette, nous avançons au jugé, découvrons la source de l’ermitage puis enfin la trace perdue tant recherchée. La végétation nous entraîne parfois à effectuer quelques mouvements browniens, je sors un sécateur du sac à dos afin de forer, vers le but, une trajectoire balistique. En une heure, nous faisons environ 1 km en ligne brisée et, retrouvant un antique balisage jaune pâle, atteignons enfin le ravin de l’Aran. Nous pourrions imaginer être dans le Yukon ou au fin fond de l’Altaï sibérien, la forêt nous enveloppe, dans le ravin partiellement enneigé coule un torrent où se trouvent peut-être des paillettes d’or.

Un chevreuil aboie au loin, nous partons plein Ouest à l’assaut du Mourre de Barri. Au sortir de la forêt la vue se dégage, Cloches de Barles, Blayeul, Cheval Blanc et ses acolytes, clues du Pérouré et de Barles, chaîne de la Blanche. Nous marchons sur un long névé en faux-plat et arrivons vers 15h00 sur la prairie sommitale où nous faisons une pause et admirons le panorama. Mais le stress du couvre-feu m’aiguillonne, je donne le signal du départ et nous filons plein pot sur la piste au Sud-Est, passant d’abord à la bergerie de la Colle, où nous dérangeons une harde de mouflons, un mâle et six femelles qui s’enrochent prestement dans la falaise. Après le Coulet des Scorpions, nous arrivons en contrebas de la ferme des Auches où nous rencontrons une seconde harde de mouflons, au moins 12 individus, peu farouches cette fois. Rapidement ils nous montrent le plastron blanc de leur postérieur, occupés qu’ils sont à tondre l’herbe nouvelle.

Aspirés vers le bas, nous déboulons à Lambert, traversons Ainac et retrouvons les voitures. 16H15 : on peut encore y arriver.

17h50 : masqués mais heureux, nous sommes dans le bouchon au Péage de Meyrargues, bientôt chacun sera chez soi, ermite en son cocon, rêvant à sa métamorphose, métamorphosant ses rêves en randonnées.

 

Informations pratiques :

Venelles-Ainac : environ 125 km en 1h45. La route pour atteindre Ainac est très étroite. Ne pas l’emprunter en cas de neige, viabilité pouvant être difficile.

Parking obligatoire aux Champons (indiqué sur la carte IGN).

Distance parcourue : 18.5 km pour D+ = 1000 m.

Horaire global : 8h00, pauses comprises.

 

 

 

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