Carnet de route

Croûte océanique, pieds mouillés et balnéothérapie en Haute Ubaye (J2)

Le 04/07/2023 par Laurent TROTIGNON

Pour cette randonnée de samedi, plus ambitieuse, devant nous mener au sommet de la Tête de Gandin (3156 m), j’ai proposé à Céline et Christophe, en formation pour devenir encadrants, de prendre à tour de rôle la conduite et le serre-file du groupe. Des talkies-walkies leur permettront de se parler en cas d’étirement du groupe le long du sentier. La feuille de route établie et partagée avec eux table sur un retour à 16h15 au refuge, le départ étant prévu à 7h00.

La veille, n’étant pas certain des conditions d’enneigement dans les versant Nord invisibles depuis la vallée, j’ai distribué à chaque participant une paire de crampons. Partis comme prévu peu après 7h00, nous recroisons notre ami le berger et nous remontons, rive gauche, l’Ubaye vers le Plan de Parouart. Ce parcours, entrepris à un rythme lent dans la fraîcheur du matin, à l’ombre des mélèzes est une mise en jambes idéale, et constitue également un réveil, un éveil progressif à tout ce qui nous entoure, multitude des fleurs, bouillonnements furieux ou veines laminaires de l’Ubaye, paix agréable du mélézin qui nous protège. La pente s’accentue au tournant du ravin de Chabrière qui est maintenant remonté dans une ambiance plus solaire au pied des falaises de l’Alpet. Les bruits de succion aux tétines des Camelbacks rythment virage après virage, ravine après ravine la progression du groupe. Un nouvel effort, nous passons devant la bergerie de Chabrière et attaquons la rampe qui franchit la Casse des Marchands, gigantesque chaos rocheux encombrant la verrou glaciaire menant au Plan de Chabrière.

Il s’agit véritablement d’un passage vers un autre monde, l’accès à un niveau d’abstraction, de dépouillement, supérieur, où tout se simplifie et s’amplifie, lumière, espace, courbes et résonances. Nous sommes comme allégés d’un fardeau et remontons vers des époques ou des contrées lointaines, Tibet, Altaï, Mongolie. Le Pic du Pelvat est longé sur son flanc Sud-Est et nous arrivons à l’entrée du Vallon de la Bouteille. Sous l’œil de bouquetins placides, nous remontons ce vallon, une nouvelle échelle dans une stratigraphie bouleversée. Dans le mikado des rochers empilés, gabbros, serpentines, schistes lustrés, spilites, roches rouges, vertes, noires, blanches, de la taille d’un dé à coudre, d’un tonneau ou d’une locomotive, nous cheminons vers le ciel qui s’ouvre à l’Est et débouchons dans le haut du vallon. Un cirque s’ouvre sur des pentes sombres ourlées de névés, un ruisselet serpente dans la grenaille de basalte constellée de touffes de fleurs roses ou jaunes. Au fond à gauche apparaît notre but, la Tête de Gandin.

Traversant le volcan sous-marin, le groupe atteint le Pas de Gandin (2985 m) par des pentes faciles puis longe la croupe schisteuse, boueuse, glissante vers le sommet. Le Viso, enneigé de pied en cap se montre généreusement. De même apparaissent autour de nous Brec et Aiguilles de Chambeyron, Pics de la Font Sancte, Mont de Salsa, Ecrins ennuagés, montagnes italiennes et nuées sur la vallée du Pô. A nos pieds, le Plan de Gandin et son lac par où nous allons redescendre.

Pause, repas, repos, selfie. C’est la première fois que j’emmène un groupe aussi nombreux dans un circuit aussi long, évidemment l’horaire a explosé, mais ce n’est pas grave, la météo est stable et le groupe a bon moral. Je prends les commandes pour le début de la descente, un raccourci est trouvé pour filer vers le fond du vallon, la neige est trop molle pour les crampons, les éboulis gorgés d’eau ont une rhéologie pâteuse surprenante. Un couloir raide et malcommode est ensuite emprunté pour rejoindre les alpages conduisant à la bergerie de Chabrière. De nouveau, un groupe de bouquetins est observé sous le Pic du Pelvat.

Un exercice délicat et dangereux nous attend maintenant : franchir le torrent pour passer de rive droite à rive gauche. N’ayant pas de Pont Neuf à notre disposition, il va falloir déceler dans la configuration du terrain le meilleur passage. Il n’est pas aisé de « diriger » une telle opération, 14 personnes à guider en ordre, dans un fracas tel qu’il est presque impossible de s’entendre, où une chute à l’eau pourrait signifier blessures, hypothermie et noyade …

Deux points de franchissement sont exploités simultanément, l’un nécessitant un saut un peu long, où j’œuvre avec Thierry et André, l’autre pris en charge par Gaëtan, un peu plus haut où la configuration nécessite de marcher sur une dalle immergée dominant une chute d’eau. Le bilan de cette opération, qui durera environ trente minutes, se solde par la perte d’un bâton et une humidité accrue de nos chaussettes. Au debriefing du lendemain, nous évoquerons cet épisode et conviendrons qu’une organisation quasi-militaire est nécessaire pour conduire un tel franchissement.

Peu avant de franchir le torrent, plusieurs alertes au genou sont remontées vers l’encadrement : la distance, le dénivelé, le terrain difficile, … l’épreuve est en effet rude. Marie-Hélène suggère alors un arrêt au bord d’un bras de l’Ubaye où une petite plage nous attend depuis ce matin. Elle pense que l’eau froide serait un réconfort pour tous ces genoux malmenés. La proposition est immédiatement relayée par talkie-walkie et adoptée avec enthousiasme. L’Ubaye en traversant le Plan de Parouart, ancien lac comblé, se divise en bras deltaïques, entrelacés autour d’îles envahies par les saules. L’eau filtrée et canalisée adopte un écoulement laminaire le long de berges sablonneuses. Les pêcheurs à la mouche sont en pleine action mais ils nous cèdent volontiers et sympathiquement la place. Du pied au genou, il n’y a qu’un pas, et comme cela fait du bien, entraînés par Gaëtan, Christophe et Delphine, nous nous immergeons presque tous aux fonts baptismaux de la nature. La fatigue de onze heures de marche est miraculeusement gommée par une minute dans cette onde glaciale. En outre, les différents accoutrements adoptés après baignade pour pouvoir sécher tout en marchant suscitent de franches rigolades.

C’est ainsi que, rincés, éreintés, transformés, régénérés, nous rentrons à Maljasset après un voyage de 12 heures en pleine nature, dans l’ambiance chaleureuse et bienveillante d’un groupe sachant saisir au vol les miracles du quotidien.

 

Tête de Gandin (3156m) – 22,5 km – 1500 m D+. L’horaire global de 12h résulte de la taille du groupe (14 personnes). Pour un groupe plus restreint (4-6 personnes) compter quand même 9 à 10h. Le sens de description (montée par le vallon de la Bouteille) est conseillé.

Photos par les randonneurs du groupe.

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