Carnet de route

Bivouac & Breakfast
Le 19/06/2023 par Laurent TROTIGNON
Pointe de la Diablée, Mourre Froid, Pointe de Serre, Revire Souléou, tels sont nos voisins ce samedi soir du premier week-end sans orage depuis … au moins 5 semaines. Mais pour atteindre ce balcon niché au fond des alpages de Chargès, rude fut la montée.
Au début, nous mangeons une bonne omelette-salade chez Hervé au Gîte des 3 Cols. Aux encadrants, Céline et votre serviteur, se sont joints Corinne, Delphine, Nicolas, Olivier, Alexandre et Thierry. Plusieurs équipements ont heureusement été mutualisés, mais ce sont malgré tout près de 110 kg de sacs à dos que nous allons promener sur nos épaules en ce bel après-midi. Nous avons encore des marges de progrès pour atteindre à la sobriété des lama du Tibet.
Nous voici partis des Gourniers (1480 m) tandis que le soleil est au zénith. Nous remontons le sentier vers la Chapelle Saint Marcellin puis bifurquons vers la Cabane du Pré d’Antoni en remontant le torrent de Chargès. Une brise agréable nous rafraîchit et de gentils cumulus font barrage au puissant rayonnement d’Apollon. Les pentes du vallon sont parcourues de nombreuses cascades, l’eau ruisselle de partout, asphodèles, orchidées, lys de Saint-Bruno sont en pleine floraison.
Vers 2000 m d’altitude, nous quittons le sentier de la Cabane de Chargès et, à travers de raides pentes herbeuses, je dirige le groupe vers le lac de la Confrérie à proximité duquel se situe le lieu, vers 2400 m d’altitude, reconnu début juin avec Céline et Delphine. Trois heures trente et neuf cents mètres de dénivelé au compteur, enfin nous posons sur cette belle terrasse herbeuse nos maisons de toile et leurs accessoires. Le village mélange plusieurs styles, tarp avec tapis de sol renforcé, tentes oblongues ou trapues. Personne n’a tenté le face à face direct avec les étoiles, il faudra y songer.
Le soleil éclaire encore le magnifique versant Nord-Ouest de la Pointe de Serre, très enneigé, tandis que nous dînons dans une bonne ambiance de partage et d’entraide. J’ai prévu pour le lendemain un périple sur les arêtes de la Pointe de la Diablée mais la fenêtre météo risque de se refermer vers midi sur des averses et du vent. Tandis que je commence à m’endormir, Altaïr émerge des crêtes du Mourre Froid et des chamois noctambules, surpris par la présence de notre camp, font partir des pierres dans les éboulis du vallon.
Se lever tôt ne rime pas forcément avec partir tôt. Un mélange de stoïcisme et d’épicurisme préside à nos préparatifs : il faut s’extraire du cocon, gérer les toiles humides et la raideur des articulations mais aussi prendre le temps de déguster les tartines, le café et la lumière de ce vierge, vivace et bel aujourd’hui. Bref, nous mettons 2 heures à être opérationnels. Au pied d’un rocher à la position GPS dûment relevée, nous empaquetons et stockons à l’abri des marmottes tout notre équipement de bivouac. Le sac ainsi allégé passe du statut de boulet à celui d’amical compagnon, ce qui n’est pas sans importance au moment de gravir 600 m de dénivelé à 35 degrés de pente moyenne. L’escalier qui nous hisse vers le ciel est un des plus beaux qui soient, longeant sur le fil la face Sud vertigineuse de la Pointe de la Diablée. Un bouquetin est allongé comme un sphinx sur une terrasse, il voit que nous l’avons vu et s’éclipse nonchalamment dans les couloirs vertigineux.
Le sommet de la Pointe de la Diablée (2928 m) est formé d’une arête horizontale d’environ 300 m de long, coiffée en cette mi-juin d’un feston de neige tassée. Je suis heureux d’y avoir conduit le groupe, je crois voir que tous partagent avec moi la conscience de traverser un lieu d’exception. Le Viso, les Ailefroides et leurs compagnons, toute la houle des sommets des Alpes du Sud s’offre à nos yeux.
Je conduis maintenant le groupe sur l’arête en direction du sommet de l’Homme (2872 m). Le temps change rapidement, du Sud viennent des brumes, du vent, l’ambiance change vite à cette altitude. Une rapide collation est prise à l’abri du vent et nous atteignons le col de Chargès d’où une redescente facile sur neige, éboulis et pentes herbeuses nous ramène au stock de matériel.
La plafond nuageux monte et descend au gré du temps, de notre côté nous descendons et parcourons le sentier du retour, toujours émerveillés par la beauté des cascades, des rhododendrons en fleurs, des falaises ocres ou noires.
Alexandre qui a une fringale d’adolescent mène la danse, il visualise déjà l’assiette de frites et le croque-monsieur qu’il va commander au gîte des 3 Cols. Même s’il est long, même si les sacs sont encore un peu lourds, le chemin du retour est un plaisir et derrière nous l’immense face rocheuse de la Pointe de la Diablée nous accompagne jusqu’aux Gourniers pour un dernier partage avant le retour.
Merci à Céline pour le co-encadrement et à tous pour la bonne ambiance de ce WE sportif!