Carnet de route

Vers le Pic des Têtes
Le 02/04/2023 par Laurent TROTIGNON
Avec son profil de statue de l’île de Pâques, le pic des Têtes nous domine. Tête de la Bau, Tête du Travers, Tête de Belau, Tête de Beloupet jalonnent l’arête Sud-Ouest le long de laquelle je projette de mener le petit groupe inscrit à cette sortie. La montagne s’étire du printemps à l’hiver : primevères et crocus au parking de la route des Béliers (1340m), et là haut le vent qui arrache, aux corniches ourlées le long de la Roche Close, une poudre blanche. Au pied des bouleaux, des perfusions extraient au goutte à goutte la sève vers des bidons de formes variées.
Nous remontons la piste du col de Mariaud (1561m) puis nous engageons au Nord sur le sentier sinueux de la Tête de la Bau (1702m) et obliquons plein Ouest pour contourner le ravin du Rosé. Depuis la clôture des alpages, la neige couvre le terrain, une couche récente de neige roulée et givrée, où s’impriment des traces d’animaux. Trois chevreuils s’écartent vivement et nous entrons à Val Pousane dans un décor scintillant, presque himalayen, dominé par la muraille du Puy de la Sèche. Nous tirons quelques bords contre la pente et arrivons au Pinet (1924m) puis filons vers le Haut de Val Pousane. Sur la crête, le vent de Nord est bien sensible, aussi proposé-je à mes compagnons de suivre une trace qui va nous permettre d’atteindre dans le versant Sud un balcon abrité. Sous la mince couche de neige et dans les escarpements qui dominent l’abrupt, le sol chauffe rapidement et de petites pierres partent dans la pente, ne nous attardons pas !
Au franchissement de la première croupe, dans les rochers fauves qui la surmontent, nous le voyons juste au-dessus, broutant tranquillement, nous regardant puis avançant de quelques pas et s’allongeant au soleil. Le bouquetin solitaire détache sur le fond du ciel les jets de ses cornes, roule des muscles comme un ours, pose sur nous ses yeux de lion. Sa force tranquille est en harmonie avec le paysage, invitation à la paix, rencontre avec un vieux parent perdu de vue.
Nous dominons la cabane et entreprenons l’ascension de la Tête de Belau (2242m) qui nous surmonte au Nord. La couche de neige reste modeste (10 cm) et estompe les irrégularité du terrain caillouteux. Au sommet par contre, une petite congère traîtresse tend un piège à Corinne qui s’arrange le genou contre un rocher pointu. Le pansement réalisé, nous admirons le paysage puis descendons à l’abri du vent, tout contre la cabane de Belau, sur un carré d’herbe verte, toute neuve et légèrement aérée par les campagnols. Corinne tourne un clip pour ses amis népalais à qui elle envoie des nouvelles, Céline et Olivier s’installent confortablement, je fais de même et nous savourons une belle pause au pied du Pic des Têtes, inaccessible aujourd’hui pour notre modeste expédition.
La descente se fait le long de la croupe qui descend au Sud vers la Barre du Bau. Après avoir salué deux autres bouquetins, la pente devient plus raide mais aisément praticable grâce à l’humidité de la terre réchauffée, où s’imprime discrètement le motif de nos semelles. Depuis ce matin, la mince couche de neige a fondu et nous sommes maintenant dans un vallon verdoyant. Quelques chamois fuient à notre approche et nous assistons aux jeux et joutes d’un couple de marmottes ranimé par la chaleur du soleil.
Notre chemin file plein Sud vers l’ancienne bergerie de l’Immerée, située dans un site merveilleux, invisible du reste du monde, comme une île déserte dans l’océan des montagnes. Longeant la rive droite du Galèbre nous retrouvons l’entrée du ravin du Rosé, le chemin se perd un peu dans les coulées de boue puis rejoint le chemin de l’Instituteur qui monte au col de Mariaud. Au passage, nous longeons le lieu du crash du vol 4U9525, marqué d’une sphère dorée éclairant discrètement la crypte du ravin.
Informations pratiques :
Environ 6h30 de marche sans les pauses, 1100m de D+
Venelles-Le Vernet : 140 km